Dans un monde idéal, il suffirait d'un livre somme pour tout savoir sur l'Argonne :
sa géographie, son histoire, ses hommes, ses richesses naturelles, ses
particularités, ses handicaps. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal
et ce livre magique n'existe pas. La capacité d'assimilation d'un lecteur
rencontrant nécessairement ses limites, il n'est pas possible non plus de
lui proposer une centaine de références ou les différentes monographies
des villes et villages. Il lui est donc suggéré de découvrir l'Argonne
avec les regards croisés, parfois opposés, toujours documentés de quelques
auteurs des XIX° et XX° siècles.
Ch. Aimond, L'énigme de Varennes. Le dernier voyage de Louis XVI,
Verdun, Frémont, 1936, XIV-153 p. (Rééd. 1957, en vente au Musée de Varennes).
Du XIX° au XX° siècle, l'affaire
de Varennes a suscité une trentaine de livres et d'innombrables articles,
mais la contribution de Charles Aimond se dégage aisément de l'ensemble.
L'auteur disposait, il est vrai, d'atouts décisifs. Né à Varennes-en-Argonne
et docteur en histoire, il avait une parfaite connaissance du théâtre des
opérations et des archives liées à l'événement. Chercheur impartial, il
s'est interdit de démontrer une thèse ou de sanctifier les uns pour mieux
diaboliser les autres. Son apport le plus neuf est d'avoir fait exploser
le cadre limité dans lequel se complaisaient ses prédécesseurs et sur lequel
ont brodé la plupart de ses successeurs: une course-poursuite où s'affrontaient
quelques personnages exceptionnels. En réintroduisant les milliers de paysans,
de manouvriers et de boutiquiers réduits d'ordinaire à des rôles de figurants
manipulés ou de populace déchainée, il a mis en lumière deux éléments majeurs
venus enrayer l'équipée royale : la résurgence d'une Grande Peur et la mobilisation
des gardes nationales, sur fond de guerre civile. Au total, l'auteur a pratiqué
une coupe éclairante sur l’état d’esprit de l’Argonne au début de la Révolution.
J. Babin, Les parlers de l’Argonne,
Paris, Klincksieck, 1954, 750 p., cartes et biblio
Issu d’une thèse de doctorat, ce livre rassemble, ordonne et commente les résultats
d’une enquête scientifique effectuée en Argonne par Jean Babin dans soixante-seize
communes entre 1936 et 1938. Il confirme le rôle de région frontière de
l’Argonne, puisque les parlers en usage chez les personnes âgées marquent
la ligne de partage des patois à dominante lorraine ou champenoise. A partir
de 841 mots méthodiquement analysés, l’auteur radiographie des termes et
tournures de langage en voie de disparition et, au-delà, les modes de vie
et de pensée qui leur étaient liés. Imperméables aux spéculations intellectuelles
et spirituelles, les patois locaux se révèlent d’une grande richesse pour
traduire les pratiques de paysans, de bûcherons et de ménagères. Ainsi,
chaque variété d’outils et d’ustensiles, de fruits et de légumes ou de patisserie
a droit à un vocabulaire précis et nuancé. Des mots différents servent à
désigner un seau en bois et un seau en fer ou un rateau à foin et un rateau
de jardin. Davantage qu’à une langue pittoresque, c’est à une civilisation
rurale que nous fait accéder la somme de Jean Babin. Mais cette société
fermée qui utilise encore à l’ère de l’automobile et de l’électricité des
expressions héritées du Moyen Age, ne résistera pas aux mutations du XX°
siècle.
Bonvalot, Le Tiers Etat d’après la charte de Beaumont et ses filiales,
Paris, Picard, 1884, XXV-557-88 p.
En 1182, Guillaume-aux-Blanches-Mains, archevêque de Reims, accordait à un
village de son domaine, Beaumont-en-Argonne, une charte fixant les coutumes
privées, publiques et communales de la communauté d’habitants. Il s’est
trouvé qu’aux XIII° et XIV° siècles ce document a servi de modèle aux chartes
d’affranchissement de 585 localités de l’est et du nord de la France et
de l’actuelle Belgique. En Argonne même, la “loi de Beaumont” a été adoptée
par près d’une quarantaine de bourgs et villages, dont La Neuville-au-Pont
(1203), Le Chesne (1207), Florent-en-Argonne (1226), Triaucourt (1229),
Passavant (1239), Varennes (1243), Clermont (1246), Saint-Pierremont (1283),
Vienne-le-Château (1307) et Buzancy (1357). Edouard Bonvalot a fourni sur
ce sujet une étude approfondie qui a conservé, en dépit de son ancienneté,
l’essentiel de sa valeur. Il a joint en annexes les textes de quarante-trois
chartes. La lecture de recherches plus récentes incite à nuancer certaines
de ses appréciations, mais il lui restera d’avoir apporté un premier éclairage
sur une période capitale de défrichement et de colonisation de l’Argonne.
G. Chenet, La céramique gallo-romaine d’Argonne du IV° siècle et la terre sigillée à la molette,
Mâcon, Protat, 1941, XII-200 p., cartes et ill.
Cette synthèse d’une vie de recherches doit être complétée par une deuxième contribution
parue après la mort de l’auteur sous la double signature de Georges Chenet
et de Guy Gaudron: La céramique sigillée d’Argonne des II°et III° siècles
(Paris, C.N.R.S., 1955, 263 p.). Des investigations archéologiques
avaient été effectuées en Argonne au XIX° siècle, mais il revient à Georges
Chenet d’avoir découvert à lui seul des pans entiers du passé argonnais
- de la préhistoire au Bas Empire romain - et, à travers la céramique sigillée,
de lui avoir conféré une renommée internationale. Héritier d’une famille
de tuiliers du Claon, il s’est plus particulièrement consacré à la détection,
à la fouille et à l’étude des ateliers de potiers gallo-romains qui se sont
développés dans les vallées de l’Aire et de la Biesme, à Avocourt, à Aubréville,
dans la forêt de Hesse, au Claon, à Lachalade, à Lavoye ou à Lochères. Avec
lui, nous nous penchons par dessus l’épaule d’artistes argonnais, nous découvrons
leurs motifs d’ornementation, leurs techniques de cuisson et nous nous promenons
chez les peuples européens qui s’approvisionnent auprès d’eux en articles
de vaisselle courante.
Collectif, Découverte de l’Argonne,
Sainte-Menehould, C.E.A., 1978-1986, 3 volumes de 169-303-228 p., cartes, graph. et ill.
(Vol. II et III en vente au C.E.A.).
Le triptyque initié par le C.E.A.
a permis de proposer au public des recherches novatrices qu’il aurait été
difficile d’éditer autrement. Ainsi, les résultats de fouilles de François
Jannin sur les verreries du Binois, de Pérupt, de La Chevrie et de Parfonrut
ou le mémoire d’Evelyne Bantquin-Arnould sur les limites de l’habitat lorrain
en Argonne. La plus grosse part des trois volumes a été réservée aux itinéraires
luxueusement illustrés proposés par deux professeurs de sciences naturelles,
André Gerdeaux et Michel Poncelet. Le premier itinéraire conduit le lecteur
de Valmy à Clermont-en-Argonne, via les vallées de l’Aisne et de la Biesme,
avec des observations particulières sur la géologie de l’Argonne et la métallurgie
du fer autrefois. Le deuxième itinéraire serpente à travers la forêt, de
Florent-en-Argonne à Beaulieu-en-Argonne, passe en revue quelques arbres
remarquables et invite à découvrir les multiples usages du bois au fil des
siècles. Le dernier itinéraire est consacré à l’Argonne du Sud avec trois
gros plans sur le cours supérieur de l’Aisne, l’ancienne industrie des “coquins”
et l’exploitation de l’étang de Belval-en-Argonne.
Collectif, Le guide de l’Argonne,
Lyon, La Manufacture, 1987, 244 p., cartes et ill. (En vente au C.E.A., en cours d’épuisement).
A la différence de ses prédécesseurs parus en 1905 (Louis Brouillon), en 1929
(Georges Chenet) et en 1963 (Jean Marchal), le guide touristique de l’Argonne
cuvée 1987 émane d’un collectif d’auteurs et privilégie une découverte de
la région à partir d’itinéraires à thème. Promeneurs et randonneurs peuvent
donc s’engager dans la forêt (J.-P. Amat et G. Destrez), suivre les routes
de Louis XVI en 1791 et de Brunswick en 1792 (G. Clause), visiter les champs
de bataille de 1914-1918 (J. Nouel), admirer l’architecture locale (J. Noël),
les églises (F. Jannin, J.-P. Lamoline et E. Béchard) et les abbayes (A.
Leriche), méditer sur les anciens sites des forges (A. Gerdeaux), des verreries
(F. Jannin) et des faïenceries (M. de Pouilly) ou flaner chez les artistes
et artisans d’art installés depuis les années 1970 (G. Déroche). Introduits
par une fougueuse préface de Yanny Hureaux et enluminés par de superbes
illustrations, ces itinéraires ont été tracés par les meilleurs spécialistes
des thèmes traités. Et comme dans tout guide touristique digne de ce nom,
chacun y trouvera des informations pratiques sur les offices de tourisme,
les hôtels, les campings et les gites ruraux.
J. Hussenet, Argonne 1630-1980,
Reims, Cendrée, 1982, 443 p., cartes, graph. et bibliogr. (Derniers exempl. en vente chez l’auteur).
Délaissant délibérément l’histoire événementielle, le livre de Jacques Hussenet privilégie
les évolutions de longue durée, étudiées du XVII° au XX° siècle à partir
de trois révélateurs: la géographie historique, le peuplement et l’économie.
Le lecteur suit les aléas de la frontière d’Argonne jusqu’à la répartition
de la région entre trois départements et la prolifération des anciennes
mesures jusqu’à l’instauration du cadastre. Les fluctuations de la population
peuvent se lire en quelques chiffres: près de 80 000 habitants vers 1630,
environ 30 000 vers 1657-1660, 101 000 en 1846 et moins de 40 000 aujourd’hui.
Comme presque partout en France, la population a été longtemps et massivement
paysanne, mais dans une moindre proportion du fait de l’importance de la
forêt et d’industries spécifiques: verreries, forges, faïenceries, tuileries,
tanneries ou travail du bois. La double révolution agricole et industrielle
du XIX° siècle a eu raison de ce système, provoquant ainsi un exode rural
ininterrompu à ce jour. L’ouvrage est complété par une copieuse bibliographie,
un dictionnaire historique des 173 localités étudiées et la mention du nombre
de feux et d’habitants pour chacune d’elles.
L. Lallement, Contes rustiques et folklore de l’Argonne (Coutumes, blason populaire et patois),
Châlons-sur-Marne, Robat, 1913, XI-331 p., ill. (Rééd. 1988).
Curé de Moiremont à la Belle Epoque, l’abbé Louis Lallement a publié de nombreux
articles sur le patois et le folklore de l’Argonne marnaise qu’il a réunis
dans ce livre et que l’on peut compléter par Folklore et vieux souvenirs
d’Argonne (Châlons-sur-Marne, Robat, 1921, 290 p.). Son recueil
comprend trente-sept contes et récits légendaires, transcrits presque tous
en patois, un calendrier des coutumes, un blason populaire des communes
de l’arrondissement de Sainte-Menehould et un glossaire de 2 300 mots utilisés
dans le patois de Moiremont et des environs. Il faut toutefois, à la suite
de Jean Babin, émettre des réserves sur les récits en patois qui procèdent
de reconstitutions artificielles et pourraient faire croire à l’existence
d’un dialecte argonnais. On ne dispose malheureusement pas de recherches
particulières pour les parties ardennaises et meusiennes de l’Argonne, sauf
à utiliser des recueils départementaux: l’excellente Géographie traditionnelle
et populaire du département des Ardennes du docteur Guelliot (Paris,
1931) et les Anciens us, coutumes, légendes, superstitions et
préjugés du département de la Meuse de Hervé Labourasse (Bar-le-Duc,
1902).
J. Laurent, L’Argonne et ses bordures. Thèse de 1948, Paris, Imprimerie
des Arts et Manufactures, 1951, 307 p., graph., cartes, ill. et atlas hors-texte.
La thèse de géographie de Jean Laurent prend place parmi les grandes thèses
de géographie régionale qui ont fleuri en France des années 1920 aux années
1960. De plus, elle complète admirablement la thèse de lettres de Jean Babin,
toutes deux appréhendant l’Argonne avant les bouleversements des Trente
Glorieuses. L’Argonne se définit d’abord par la géologie (la gaize et les
argiles du Gault) et c’est très logiquement la géographie physique que l’auteur
aborde en premier lieu, en examinant les roches, le relief et l’hydrographie.
La forêt, à la fois milieu naturel et milieu humain, fournit un important
chapitre de transition vers la géographie humaine qui est traitée suivant
une double perspective: les genres de vie (agriculture, élevage, artisanat)
et l’habitat (maisons et villages). Cette description des activités et des
modes de vie ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui, mais elle constitue
rétrospectivement un précieux document historique. Quant au volet de géographie
physique, il a pris la patine des oeuvres classiques. Tous ceux qui ont
étudié ultérieurement la gaize, la forêt argonnaise, l’Aisne, la Biesme
ou les maisons traditionnelles doivent quelque chose à Jean Laurent.
A. Leriche, En Argonne: sur les traces des moines, Verdun, Imprimerie
Lefèvre, 1979, 216 p., cartes, plans et ill.
Du Moyen Age à la Révolution française, l’Argonne était quadrillée par une
trentaine d’établissements religieux possédant des forêts, des étangs, des
moulins, des fermes, des forges, des verreries, des tuileries et bénéficiant
de divers privilèges moraux et fiscaux. Y figuraient notamment une douzaine
d’abbayes fondées à l’époque mérovingienne (Montfaucon et Beaulieu) ou aux
XI° et XII° siècles: Moiremont (1074), Lachalade (1120), Le Mont-Dieu (1130),
Belval-en-Dieulet (1133), Montiers-en-Argonne (1134), Châtrices (1142),
Lisle-en-Barrois (1144), Chéhéry (1147), Longwé (1150) et Landèves (1219).
Foyers d’intense spiritualité à leur origine, elles ont joué un rôle capital
dans l’évangélisation, le défrichement et la colonisation de l’Argonne.
C’est à leur découverte que nous convie la synthèse alerte d’Alcide Leriche
rédigée à la suite d’investigations effectuées sur le terrain, dans les
bibliothèques et les archives. Alliant érudition et vulgarisation, l’auteur
offre un survol historique, des listes d’abbés et de prieurs, des inventaires
et illustre le tout de photographies et de superbes croquis restituant bâtiments,
domaines et plans d’abbatiales.
A. Rouyer, La guerre 1914-1918 en Argonne,
Paris, Comité Commémoratif de l’Argonne, 1969-1975, 8 fascic., cartes et ill.
L’Argonne était totalement envahie le 9 septembre 1914, avant que la bataille de la
Marne ne repousse les belligérants sur une ligne jalonnée par Servon, le
Four-de-Paris, Boureuilles, Vauquois et Malancourt. Il s’en suivra une interminable
guerre de tranchée, le recours aux mines, aux obus asphyxiants et un duel
opposant Minenwerfer et Crapouillots, jusqu’à ce que l’offensive
franco-américaine de septembre-octobre 1918 libère le territoire. Au final,
le conflit aura fait 200 000 morts de part et d’autre, ravagé les trois
quarts de l’Argonne et inscrit dans son paysage une foule de monuments et
d’immenses cimetières militaires. Soucieux de dépasser les descriptions
du Guide Michelin Verdun-Argonne paru après la Grande Guerre, le
général André Rouyer avait entrepris de réécrire une histoire des combats
à partir des archives du Service historique de l’Armée de Terre (Vincennes).
La mort l’a empêché de mener son oeuvre à son terme mais, telle quelle,
sa contribution demeure de grande valeur. On pourra la compléter par l’excellente
synthèse de Jacques Nouel signalée précédemment dans Le guide de l’Argonne.
R. Tilloy, Bibliographie de l’Argonne, Sainte-Menehould, C.E.A., 1958, IX-240 p.
Cofondateur du Centre d’études argonnais (C.E.A.), Robert Tilloy concrétisait aussitôt
le programme de travail de la nouvelle association en faisant paraître cette
bibliographie qu’il mûrissait depuis longtemps et qui allait rendre d’inestimables
services. Certes, différentes bibliothèques des Ardennes, de la Marne et
de la Meuse possèdent un fichier “Argonne”, mais aucun d’eux ne peut rivaliser
avec une somme fournissant quelque 2 700 références et 964 noms d’auteur.
D’emblée, Robert Tilloy avait vu large en subdivisant son répertoire en
une vingtaine de thèmes: documents généraux, géographie, sciences naturelles,
sciences sociales, géographie historique, histoire générale, préhistoire,
l’Argonne gallo-romaine, l’Argonne franque, l’Argonne féodale, de la Champagne
française au Verdunois français, l’Argonne sous les derniers Valois, de
Henri IV à 1789, Révolution et Empire, XIX° siècle, XX° siècle, l’Argonne
artistique, l’Argonne touristique, l’Argonne et ses écrivains, l’Argonne
gastronomique. On pourrait sans doute lui objecter d’avoir été trop prolixe,
mais abondance de biens ne nuit pas. Quant à la remise à jour, elle a été
assurée régulièrement par Horizons d’Argonne dans la rubrique
«Vient de paraître», puis dans la «Bibliographie argonnaise».